rEnfin ! Une « Mademoiselle Julie » jouée sans poussières et sans raideur ! Enfin ! Une « Mademoiselle Julie » jouée avec fraîcheur et naturel, pour tout dire, avec jeunesse ! Une mise en scène propre à démontrer la pérennité et – plus que jamais – l'actualité d'un chef d'œuvre qui sera l'an prochain centenaire, mais qui, à aucun prix ne doit être joué comme un chef d'œuvre, c'est à dire emphatiquement, pincé, guindé, au « garde à vous » et « les fesses dans l'eau froide » comme aurait dit Jouvet.
Une Julie ( Alix de Konopka ) tout à tour sensuelle et « paumée » qui exprime le » no future « de son personnage, et qui du fait de son éducation « à la garçonne » et son rang aristocratique, se croit tout permis, jusqu'à franchir les limites. Une Julie qui sort à peine d'une épreuve ( la nième rupture avec un « parti » de son milieu ) et qui compte bien « se refaire » en visant plus bas qu'elle s' en alla au plus facile, au disponible, comme un « décavé » sortant ruiné d'un casino huppé, comptant « se refaire » dans un tripot. Une Julie enfin, qui exacerbe les désirs de Jean et qui, après une nuit de folie se retrouve une pauvre fille décidément prête à tout pour sauver ce qui peut être sauvé et qui réalise trop tard que son rêve était prémonitoire.
Un Jean qui est le contraire d'un valet figé, tel que nous le représentent souvent les photos d'anciennes mises en scène, un Jean qui sait « occuper » l'espace, parce qu'il se sent chez lui, dans la cuisine, antre de la domesticité, un Jean qui sait se faire valoir en se dressant sur ses ergots comme le coq qu'il veut paraître lorsqu'il se vante et tente comme un V.R.P. de « vendre » sa marchandise, c'est à dire lui-même, le futur ancêtre et qui, lorsque se sont enfin dissipés les vapeurs de l'alcool et de l'amour, caresse presque amoureusement son gilet rayé, symbole de sa condition, tout en remuant, pour tromper son attente du coup de sonnette du maître qui le ramènera à son rang. Steve Kalfa donne à son personnage un dynamisme bien en rapport avec son rôle de porte-parole de la classe montante.
Une Christine ( Claire Faucher-Beaufort ) qui d'un personnage le plus souvent sacrifié parce que trop conventionnalisé, fait une merveille de composition ( ou de non-composition, comme on voudra ) tant elle est naturelle en fille de la campagne, qui a les pieds sur terre, qui a la foi du charbonnier et sait ce qu'elle veut, hors de portée qu'elle est des « coups de tête » ou des « coups de cœur » qui sont l'apanage d'une Julie, à la fois aristocrate et femme émancipée dans un milieu qui ne l'est guère. Christine se joue avec aisance de toutes ces caractéristiques qui pourraient être autant de poncifs, c'est-à-dire, autant d'écueils, éludés par un jeu qui est aux antipodes du jeu théâtral. L'intemporalité de la pièce est rehaussée si l'on peut dire, par la sobriété des décors ( la nappe blanche traditionnelle, seule, peut évoquer la Suède ) et les costumes pourraient aussi bien convenir aux années 20 ou 30 qu'à la fin du XIX° siècle, sans tomber dans la facilité et le travers des costumes modernes.
Un coup d'essai qui pourrait bien être un coup de maître pour le jeune metteur en scène Georges About, qui – cela devient de plus en plus rare – a su respecter l'auteur et le traducteur tout en en tirant le meilleur parti, se contentant d'ajouter – agréable initiative – un prologue chorégraphique qui annonce la couleur érotique de cette nuit de la Saint Jean, au cours de laquelle tout semble permis, mais qui ne dure qu'une nuit blanche, blanche comme la robe de danse de Julie, pureté propice au sacrifice charnel, aux désirs exacerbés et qui contrairement à la nuit où tous les chats sont gris et uniformes, révèle la vérité des caractères à la lueur permanente d'un soleil de minuit.